Solidarité avec Taslima Nasreen, privée de liberté

Solidarité avec Taslima Nasreen, privée de liberté

Taslima Nasreen

Décembre 2007 Après avoir dû s’exiler en 1994 du Bangladesh, son pays, où sa vie était menacée par une fatwa des intégristes musulmans, c’est maintenant en Inde que Taslima Nasreen, écrivain et grande figure du combat pour les droits des femmes, est en danger.
Elle était à l’automne dernier agressée physiquement par des groupes islamistes tandis que d’autres mettaient sa tête à prix, et d’autres encore réclamaient son expulsion.
Elle a été contrainte de quitter sa maison de Kolkata, dans l’Etat du Bengale, et vit aujourd’hui en un lieu tenu secret, confinée dans une chambre dont elle ne peut pas sortir, interdite de contacts avec le monde extérieur.
Taslima Nasreen doit pouvoir vivre, se déplacer en Inde et dans le monde en toute hospitalité et en toute sécurité!
Mobilisons-nous, manifestons-nous auprès des autorités indiennes.

Taslima Nasreen à Paris, au colloque
« Femmes en mouvements, hier et aujourd’hui pour demain » organisé par l’AFD

Octobre 2006 – Intervention
« Ma maison, c’est l’amour que je reçois des femmes »
« (…) Personne ne m’a poussée à contester, mais dès mon tout jeune âge, j’ai eu très fortement le sentiment de l’importance de lutter contre l’oppression. Personne ne m’a demandé de verser des larmes, mais j’ai pleuré. Personne ne m’a suggéré que je pouvais aider à changer l’état des choses, mais j’ai voulu faire quelque chose de constructif et j’ai écrit des livres. J’ai écrit sur la nécessité pour les femmes de comprendre pourquoi elles sont opprimées et pourquoi elles doivent se battre contre l’oppression. Pendant des siècles, on a appris aux femmes qu’elles sont les esclaves des hommes, qu’elles ne doivent pas contester le système patriarcal, qu’elles doivent rester silencieuses face à leurs violeurs. De ce fait, il a été difficile pour les femmes d’accepter l’idée qu’elles sont des êtres humains comme les autres et qu’elles ont le droit de vivre comme des êtres humains, dans l’indépendance et l’égalité. Par mon écriture, j’ai essayé d’encourager les femmes à combattre pour leurs droits et leur liberté. Ma voix a donné aux femmes la possibilité de penser différemment. Les fondamentalistes religieux et les machistes n’ont pas apprécié. Ils ont refusé d’avoir la moindre tolérance à l’égard de mes idées. Ils n’étaient pas d’accord pour qu’une femme brise ses chaînes et devienne libre. Ils ne pouvaient tolérer que je dise que les textes religieux sont dépassés et déplacés. J’ai provoqué leur colère parce que j’ai affirmé que la loi religieuse, qui pratique la discrimination à l’encontre des femmes, doit être remplacée par un droit laïc dans un code civil unique. Rapidement, des centaines de milliers d’extrémistes sont sortis dans les rues et ont demandé que je sois exécutée par pendaison. On a lancé une fatwa contre moi, on a mis ma tête à prix. Au lieu de s’en prendre aux fondamentalistes, le gouvernement s’en est pris à ma personne. Il a ouvert une instruction contre moi pour blasphème. On a lancé contre moi un mandat d’arrêt. Je n’ai eu d’autre choix que de me cacher. Après le versement d’une caution, j’ai dû quitter mon pays. Depuis, j’ai essayé de rentrer dans mon pays, mais c’est impossible. On ne m’y autorise pas. Malgré toute cette pression, j’ai continué à écrire. Dans mes poèmes, mes textes en prose, mes essais, mes romans, j’ai défendu les opprimés. J’ai réclamé avec force l’égalité et la justice, la justice pour tous, quelle que soit leur religion et quel que soit leur sexe. Je me suis exprimée avec force en faveur de la séparation de la religion et de l’Etat, en faveur d’un droit laïc, en faveur d’une éducation laïque. (…) J’ai pris la plume pour dénoncer toutes les formes de violence physique et sexuelle, le terrorisme religieux et les discriminations patriarcales contre les femmes. Et j’ai un rêve : je rêve d’un monde où aucune femme ne sera opprimée, où aucune femme ne sera victime de trafics, de jet d’acide, de viol, d’agression sexuelle. Je rêve d’un monde où les êtres humains se respecteront les uns les autres, où ce respect ne débouchera pas sur la guerre, le sang versé, ou la violence. J’ai pris la plume pour que mon rêve devienne réalité, pour qu’advienne un monde éthique où l’humanité prospèrera avec des êtres humains non pas pleins de haine mais pleins d’amour. Dans ce combat pour un humanisme laïc, mon arme c’est ma plume mais c’est avec leurs épées que les extrémistes religieux sont venus pour me tuer. Ils ont brûlé mes livres, ils ont poursuivi mes éditeurs pour m’avoir publiée, et ils ont attaqué les librairies où mes livres sont en vente. Ma liberté d’expression a été constamment violée par les autorités gouvernementales. J’ai écrit 28 livres, dont cinq ont été interdits par le gouvernement du Bangladesh – d’autres actions ont été engagées contre moi pour interdire mes autres livres. Un tribunal du Bangladesh m’a condamnée à un an de prison pour mes écrits. Récemment, le gouvernement a interdit les quatre volumes de mes mémoires autobiographiques. Dans ceux-ci, je n’ai pas seulement écrit l’histoire de ma vie. C’est aussi l’histoire de milliers de femmes qui vivent dans une société patriarcale où elles souffrent à cause de toutes sortes de traditions. Nous, les victimes, nous devons crier avec force. Il faut qu’on nous entende. Nous devons protester à voix forte et exiger notre liberté et nos droits. Il faut que nous refusions qu’on nous mette les fers, qu’on nous enchaîne, qu’on nous batte, qu’on nous menace. Si les femmes ne se battent pas pour mettre fin à un système religieux patriarcal et oppressif, alors, honte aux femmes ! Honte à nous de ne pas protester, de ne pas combattre, de laisser se perpétuer un système qui affectera nos enfants et les enfants de nos enfants. Mon histoire n’est pas unique. Les expériences que j’ai subies l’ont été malheureusement par des millions d’autres victimes. Dans mes livres, j’ai pleuré sur mon propre sort. J’ai pleuré aussi sur le sort de tous les êtres qui n’ont pas été à même d’avoir la vie productive dont ils sont capables et qu’ils méritent à tous égards. Nous les femmes, nous ne devons pas continuer à pleurer doucement, solitaires et isolées. Et c’est parce que j’ai cessé de pleurer dans la solitude qu’on m’a fait souffrir. J’ai été chassée hors de mon propre pays. Au lieu de pouvoir vivre dans la partie du monde où je suis née et où j’ai grandi, il ne me reste comme alternative que de vivre dans le monde occidental, où je me sens comme une étrangère. Je suis étrangère dans mon propre pays, je suis étrangère en Occident où je vis. Où puis-je aller ? Nulle part. Pour moi, l’exil est un arrêt d’autobus où j’attends l’autobus pour rentrer à la maison. Il y a maintenant plus de douze ans que j’attends en exil. Et je n’ai pas le sentiment qu’il y ait une maison qui soit la mienne, ni un pays qui soit le mien. J’éprouve un sentiment de désespoir et de détresse. Parfois je me demande s’il est vrai que je n’ai pas de maison. Une part de moi-même répond par l’affirmative. Mais une autre dit que non, ce n’est pas vrai. J’ai une maison. Ma maison, c’est l’amour, l’amour que je reçois des femmes, de toutes les femmes de par le monde. C’est cela ma maison, l’amour que je reçois des rationalistes, des libres penseurs, des laïques, des humanistes. L’amour que j’ai reçu de vous, voilà ma maison. Je ne regrette rien de ce que j’ai fait ou de ce que j’ai écrit. Quoi qu’il arrive, je continuerai à me battre contre toutes les forces extrémistes, fondamentalistes, intolérantes, sans compromis, jusqu’à ma mort. Je me réjouis de pouvoir parler dans ce colloque international. Je suis tellement heureuse de voir que les femmes sont unies. Si les femmes s’unissent, tous les problèmes d’inégalité et d’injustice à l’endroit des femmes seront résolus. Si les femmes s’unissent, il deviendra facile pour elles de conquérir le pouvoir politique, le pouvoir social, le pouvoir économique. Je veux exprimer ma gratitude pour la sympathie, le soutien et la solidarité que ce forum des femmes m’a manifestée. Ce soutien me renforce encore dans ma détermination à continuer ma lutte. Merci à toutes et à tous. Merci beaucoup.  » Taslima Nasreen

Nous sommes mobilisées depuis 1994 (voir le catalogue des Éditions des femmes, page 228)
Taslima Nasreen a publié aux Éditions des femmes Femmes manifestez-vous en 1994

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